La pénurie de logement : le plus grand défi de notre époque ?

Connaissez-vous cette satisfaction si particulière que l’on ressent quand plusieurs éléments complexes s’imbriquent et offrent une belle synthèse de ce qu’on entend ici ou là ? 

Nous l’avons vécu en lisant the « Housing theory of everything » rédigée par Sam Bowman, John Myers et Ben Southwood. Cet article en est un petit résumé qui parle d’obésité, de santé, de règles d’urbanisme, d’inégalités et de productivité en lien avec l’immobilier.

Leur constat, d’une simplicité étonnante face à tant de complexité, met tout en perspective ! Nous faisons face aujourd’hui à de nombreux défis, entre instabilité économique, crise sanitaire mondiale, baisse du taux de fécondité et changements climatiques. Tout nous semble vaguement relié sans pour autant que nous puissions clairement définir les liens de cause à effet. Il existe cependant UN élément qui les aggrave TOUS : la pénurie du logement.

L’endroit où vous vivez a une incidence sur tous les aspects de votre vie ! Les prix des logements vous incitent à modifier vos comportements : où vous travaillez, comment vous prenez vos congés, qui sont vos amis, quelles activités vous réalisez, combien d’enfants vous pouvez avoir et même la fréquence de vos maladies.

 

POURQUOI S’ATTAQUER AU LOGEMENT ?

L’inégalité en matière de logement, et non l’inégalité des revenus, est l’un des principaux déterminant de l’inégalité des richesses. Si le logement est si important c’est parce qu’il conditionne par sa localisation l’accès aux bonnes écoles, bref à un environnement exigeant qui vous tire vers le haut.

 

IL EXISTE DES EFFETS EVIDENTS … 

L’offre de biens n’arrive pas à suivre la demande.

Beaucoup souhaitent vivre dans les bons quartiers des centres-villes, dans les pays riches, travailler dans les grandes entreprises, mettre leurs enfants dans les meilleures écoles…  C’est pourquoi les prix des quartiers si recherchés, flambent. A titre d’exemple, les prix des logements à New York ont augmenté de 706% depuis les années 80 et de 2 100% à Londres sur la même période !

Pourquoi l’Offre n’arrivera jamais à suivre la Demande ?

 

Les restrictions aux constructions neuves

Lorsque davantage de personnes souhaitent vivre dans un quartier, deux possibilités s’offrent aux hommes politiques locaux : construire davantage pour accueillir cette nouvelle demande ou les tasser dans le parc immobilier existant. Trop peu de biens sont construits là où les personnes souhaitent vivre, tirant inévitablement les prix vers le haut.

Les réglementations urbanistiques, légales imposées aux nouvelles constructions sont partout très restrictives car elles sont censées protéger le « bon vivre » sur le long terme. 

La demande attire la demande

Avez-vous déjà remarqué que les coiffeurs, placent toujours leurs clients devant la vitrine du magasin ? Tout simplement car la demande génère plus de demande et les hauts revenus attirent les hauts revenus. Les personnes aux capacités financières importantes utilisent une partie de leurs salaires pour investir dans les régions prisées, faisant monter les prix immobiliers de la région. 

 

… MAIS EGALEMENT DES EFFETS CACHES 

La baisse de la productivité

Une mobilité professionnelle réduite bride la productivité des salariés

Faute de pouvoir se déplacer vers les lieux productifs, beaucoup occupent aujourd’hui un poste qui n’est pas aligné avec leurs compétences.

Les salariés qualifiés de zones moins productives ont des salaires qui augmentent sans pour autant avoir les capacités, notamment financières, pour déménager dans des zones à haute productivité. Il devient ainsi plus difficile pour eux de se rapprocher de meilleurs emplois.

Par ailleurs, les personnes habitant dans des zones à forte productivité ne sont pas pour autant à leur productivité maximale. La mobilité professionnelle réduite d’une partie de la population mène à une perte de complémentarité des compétences. Les employés hautement qualifiés sans aide, consacrent leur temps à des tâches qui pourraient être effectuées par d’autres moins qualifiés, réduisant ainsi le temps qu’ils consacrent aux tâches pour lesquelles ils sont les meilleurs.

 

La taille des villes affecte la stimulation de la population : plus une ville est dense plus la productivité est importante

Les travailleurs des grandes villes ont tendance à être plus productifs que les travailleurs des petites villes à compétences et formations similaires. En effet, le lien entre la taille et la productivité est observable lorsque la ville comprend des travailleurs qualifiés et éduqués. On devine alors facilement que cette productivité découle du transfert de connaissances et de la division du travail par les travailleurs hautement qualifiés. Aux États-Unis par exemple, la productivité par travailleur a tendance à augmenter de 2 % ou plus, pour chaque doublement de la taille de la ville tandis que les zones métropolitaines composées en grande partie de travailleurs non qualifiés ne deviendront pas plus productives à mesure qu’elles s’agrandissent.

Étonnamment, les villes les plus prospères d’Occident sont peu peuplées et étalées contrairement à ce qui était fait auparavant dans le Paris Haussmannien avec une densité de logements forte.

La principale cause de ce cas d’école est la réglementation des nouvelles constructions immobilières. Les économistes G. Duranton et D. Puga estiment que si New York autorisait davantage de densité, les loyers et les prix des appartements chuteraient pour atteindre les coûts de construction. Selon une étude, si uniquement New York, San Jose et San Francisco assouplissaient leurs règles interdisant la construction de logements plus denses (pour atteindre le niveau de restriction moyen national), des millions de personnes se déplaceraient vers des emplois qui utilisent au mieux leurs compétences. Le PIB des États-Unis augmenterait alors de 8,9 %.

 

 

La proximité géographique favorise l’innovation

Les villes disposent de grands bassins de main-d’œuvre permettant aux individus d’y trouver plus facilement des emplois correspondant à leurs compétences mais également d’y collaborer plus aisément pour trouver de nouvelles solutions. La proximité géographique est particulièrement importante pour le transfert et la combinaison d’idées. C’est pourquoi Bell Labs, laboratoire de R&D qui a inventé des technologies révolutionnaires telles que la cellule photovoltaïque, a conçus ses locaux de manière à ce que tout le monde y travaillant se croise à un moment donné de leur journée.

Une analyse de 600 000 brevets déposés entre 2000 et 2010 aux Etats-Unis suggère que les lieux à faible densité peuvent soutenir des groupements spécialisés, mais que les innovations naissent principalement au sein d’environnements urbains à forte densité. Pour les industries immatérielles par exemple, comme la confection de logiciels, les avantages de la proximité se dissipent dans un rayon de 15 km.

Ainsi, en limitant le nombre de personnes pouvant s’installer dans une ville en restreignant l’offre des logements, nous ne nous contentons pas de nuire directement à la productivité, nous passons à côté d’innovations qui font avancer la société et qui peuvent conduire à des améliorations de notre mode de vie.

 

Une exacerbation des inégalités

L’enrichissement exponentiel des propriétaires fonciers …

Une offre fixe de logements signifie que les principaux bénéficiaires de la hausse des prix du loyer et d’achat sont les propriétaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’économiste H. George a proposé de taxer la valeur des terrains.

Piketty a mis en évidence que l’augmentation de la part du revenu national qui revient aux propriétaires provient du capital et non du travail. Cette augmentation de la part du revenu national bénéficie donc majoritairement aux propriétaires fonciers sous l’effet de l’augmentation du coût du logement. Cette tendance est particulièrement forte dans les États qui ont des règles très restrictives en matière de construction des logements.

Aujourd’hui, peu de gens s’opposent à ce que l’on rende leur quartier plus agréable en construisant un parc. La plus grande préoccupation des résidents actuels n’est plus l’amélioration du lieu où ils vivent, mais bien le risque d’être évincé de leur maison  faute de pouvoir payer le logement suite à une valorisation de leur rue.

Une telle situation ne se produit pas dans les endroits où les promoteurs peuvent facilement ajouter des logements dans une zone donnée, comme à Tokyo ou Séoul. Dans ces endroits, la hausse de la demande entraîne une augmentation de l’offre, et pas seulement une hausse des prix.

De nombreux jeunes ont dû retarder la fondation d’une famille et acceptent souvent des emplois mal payés et précaires qui permettent à peine de payer le coût de la vie, ce qui est le prix à payer pour vivre dans des villes culturellement attrayantes. Pendant ce temps, les générations plus âgées s’assoient sur des biens immobiliers qui valent plusieurs fois ce qu’elles ont payé et donnent souvent la priorité à la protection de leur propre quartier plutôt qu’à la nécessité de construire davantage de logements.

 

… face à l’incapacité des individus de quitter une zone défavorisée

La pénurie de logement est également à l’origine d’inégalités régionales.  Alors qu’auparavant, les personnes de tous niveaux de revenus et de compétences se déplaçaient vers des lieux plus prospères, aujourd’hui, seules les personnes bien rémunérées en ont la capacité.

Avec un coût du logement élevé, les revenus nets et le niveau de vie de certains individus chuteraient si ils déménageaient. Les auteurs prennent l’exemple d’une femme de ménage vivant en Alabama. En 1960, elle pouvait déménager à New York et gagner un salaire 84 % plus élevés, et se retrouver avec un revenu supérieur de 70 % après loyer ! En 2010, si elle déménageait à New York elle deviendrait 28 % plus productive et gagnerait un salaire 28 % plus élevé avant loyer.

Les moins qualifiés s’inscrivent ainsi dans un cercle vicieux en ne pouvant quitter la zone défavorisée dans laquelle ils sont. Ils se disputent une offre limitée d’emplois à bas salaires et les font tirer vers le bas.

 

La Famille mise à mal par les logements chers

Plus une chambre supplémentaire est chère, plus il est coûteux d’avoir plus d’enfants. En Occident, le nombre d’enfants que les femmes ont est bien inférieur à celui qu’elles disent vouloir. Selon une étude récente, après prise en compte d’autres facteurs, une hausse de 10 % des prix de l’immobilier était associée à une baisse de 1,3 % du nombre total de naissances.

Même si les revenus ont augmenté, les deux parents d’une famille doivent désormais travailler pour pouvoir s’offrir une maison familiale décente dans une grande ville. Les gens ont dû se déplacer de plus en plus loin des centres-villes pour trouver un endroit où ils peuvent se permettre de vivre quitte à consacrer plus de temps et d’argent aux trajets domicile-travail.

 

Notre santé est fragilisée

La pénurie de logement pourrait également avoir aggravé la situation de la Covid. La surpopulation favorise en effet les maladies. 

L’étalement urbain favorise l’obésité

Personne n’a su expliquer pourquoi le taux d’obésité en Amérique est passé de 10 % au début des années 1960 à 35 % aujourd’hui. Comparée à la population japonaise, qui n’a connu une telle hausse, les auteurs constatent que l’une des principales explications vient du mode de vie et de la façon dont les villes sont construites.

La réglementation japonaise en matière d’aménagement du territoire est légère. Dans sa forme la plus restrictive, elle autorise les bâtiments de trois étages qui utilisent la totalité de leur parcelle de terrain. La croissance des villes au Japon est ainsi beaucoup plus dense que les villes américaines. Elles absorbent d’ailleurs une part beaucoup plus importante de la population du pays. En raison de ce mode de vie urbain où tout est à proximité, les habitants des grandes villes japonaises conduisent beaucoup moins qu’en Amérique. À Tokyo et Osaka, seuls 12 % et 13 % des déplacements se font en véhicule motorisé privé, contre 85 % à Los Angeles. La plupart des villes américaines sont bien trop étendues pour que l’on puisse s’y déplacer à pied.

Il est donc possible que le fait de préférer l’étalement urbain à la densité, nuise à la santé.

 

Changements climatiques

En 2018, la consommation d’un Japonais moyen a provoqué 10,3 tonnes d’émissions de CO2, tandis que l’Américain moyen a provoqué 17,6 tonnes d’émissions, soit 74 % de plus. Cela peut être certes expliqué par les modes de vie dont le fait qu’ils se déplacent plus en véhicule motorisé mais également par la typologie des constructions.

Les restrictions aux nouvelles constructions persistent bien qu’elles soient moins polluantes  

Les nouvelles maisons sont beaucoup mieux isolées que les anciennes. Les nouveaux logements peuvent être construits avec un taux net de carbone intégré nul, avec des paiements pour la reforestation ou d’autres moyens d’améliorer l’environnement. Les nouveaux logements peuvent ainsi grandement aider l’environnement face à un parc immobilier vieillissant et polluant.

 

La solution recommandée par les auteurs ? Une démocratie locale

Une démocratie radicalement localisée à l’échelle des rues individuelles permettrait aux habitants de voter pour une plus grande densité. Il n’y aurait ainsi pas de construction là où une majorité n’opterait pas pour cette solution, mais les rues qui voteraient pour une plus grande densité deviendraient extrêmement précieuses, ce qui inciterait les propriétaires des zones à forte demande à voter pour une plus grande densité.

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